Rétrospective Abbas Kiarostami
A l’occasion de la publication d’un ouvrage consacré à Abbas Kiarostami, et d'une importante exposition et intégrale au Centre Pompidou, à Paris, la Cinémathèque suisse programme plusieurs de ses films, ainsi qu’un documentaire sur son oeuvre. Des longs métrages qui sont autant des témoignages sur l’Iran contemporain que des invitations à interroger la mise en scène au cinéma.
Abbas Kiarostami... et le cinéma continue
A lui seul, Abbas Kiarostami représente plusieurs phénomènes majeurs dans l’histoire du cinéma mondial. Il est d’abord un artiste de premier plan, extrêmement prolifique au cours du demi-siècle qui sépare son premier court, Le Pain et la Rue tourné en 1969, de 24 Frames auquel il a travaillé sur son lit de mort, en 2016. D’une grande diversité, le cinéma de Kiarostami est tout entier construit sur l’idée d’ouvrir des espaces de liberté au spectateur. S’il a débuté dans un organisme dédié aux enfants et aux adolescents, le Kanoun, le réalisateur iranien y a d’emblée réalisé des films aussi émouvants qu’ambitieux, comme Experience ou Le Passager, qui accueillent les beautés et les âpretés de la réalité et suscitent, à partir d’une histoire simple, des questions essentielles.
Découvert en Occident en 1989 grâce au chef-d’œuvre qu’est Où est la maison de mon ami?, il devient la principale figure du mouvement d’élargissement du cinéma international qui se produit à cette époque, permettant la visibilité des cinémas asiatiques, et dans une moindre mesure africains, arabes et latino-américains. Avec le grand film de réflexion sur les puissances du cinéma, et de jeu avec elles, qu’est Close-up et la «Trilogie de Koker» (Où est la maison de mon ami?, Et la vie continue, Au travers des oliviers), il s’établit au premier rang d’un cinéma contemporain attentif au réel et formellement très inventif, susceptible de prendre en charge de multiples thèmes, sentimentaux, éducatifs, politiques, éthiques.
La force paisible de son cinéma, et la reconnaissance qu’elle obtient alors et qui culmine avec la Palme d’or pour Le Goût de la cerise, entraînent la découverte de nombreux autres réalisateurs iraniens, tandis qu’il offre au monde une idée de l'Iran différente des visions réductrices qui ont alors cours – ce dont les dirigeants de son pays ne lui seront d’ailleurs guère reconnaissants, Kiarostami étant régulièrement attaqué par des proches du régime. Lui qui a poursuivi avec une cohérence remarquable son œuvre de cinéaste avant et après la révolution de 1979 qui donne naissance à la République islamique, lui qui aura toujours refusé de quitter son pays, devra néanmoins filmer à l’étranger deux de ses derniers grands films, Copie conforme (en Italie) et Like Someone in Love (au Japon).
Grand auteur et figure essentielle de la mondialisation de l’art cinématographique, Abbas Kiarostami incarne également deux phénomènes majeurs de l’entrée dans le XXIe siècle, la révolution numérique et l’interaction entre cinéma et arts visuels. Après un dernier grand film de facture classique en Iran, Le vent nous emportera, il mène une série d’expériences créatives avec les moyens de la vidéo légère, côté documentaire (ABC Africa) comme côté fiction (Ten). Cinéaste, Kiarostami aura aussi été photographe et vidéaste, explorant de multiples formes aux confins de ces modes d’expression, comme d’ailleurs du spectacle vivant, des installations et – essentielle – de la poésie. Expérimental et sensuel, émouvant et provocant, Shirin reste comme la manifestation cinématographique la plus audacieuse de cette pluralité des langages qu’il n’aura cessé de pratiquer.
Jean-Michel Frodon, critique et journaliste de cinéma, professeur à Sciences Po
Les autres films de la rétrospective
Où commence la fiction? Sur quoi repose une histoire? De quelle manière transmettre les émotions? Comment mettre en scène un propos tout en rendant visible le dispositif même du cinéma? Du premier moyen métrage de Kiarostami intitulé Experience aux ruptures narratives vertigineuses de Copie conforme, en passant par le documentaire ABC Africa, les films proposés en marge de la projection spéciale de Le vent nous emportera contribuent à jeter un éclairage passionnant sur les questionnements qui irriguent l’ensemble de l’œuvre du cinéaste.
Evénement(s)
Présentation d'un livre publié chez Gallimard
Mercredi 12 mai à 19:00
Présentation d’un livre publié chez Gallimard
Le 12 mai à 19h, Jean-Michel Frodon et Agnès Devictor présentent leur nouvel ouvrage Abbas Kiarostami. L’œuvre ouverte. La discussion (potentiellement via Skype) sera suivie, à 20h, de la projection de Le vent nous emportera (1999).
Nourri de nombreux entretiens avec Abbas Kiarostami et avec celles et ceux qui ont travaillé à ses côtés, enrichi d’une illustration considérable et en partie inédite, Abbas Kiarostami. L’œuvre ouverte met, pour la première fois, en évidence de manière exhaustive la créativité de cet artiste. Inscrivant son œuvre dans l’histoire contemporaine de l’Iran et les grandes évolutions du cinéma mondial, cet ouvrage présente chacun de ses films, son travail photographique, ses créations dans le spectacle vivant, ses installations pour les plus grands musées, ses recherches avec les outils numériques, mais aussi son activité de poète qui offre un éclairage plus intime. Le texte fait également la part belle à d’autres dimensions de cette œuvre foisonnante, comme la relation de Kiarostami à la politique, ses méthodes de travail, son usage des technologies qu’il n’aura cessé d’explorer, et cette activité de pédagogue exercée infatigablement dans le cadre d’ateliers, d’un bout à l’autre de la planète. Ce livre est signé par deux grands connaisseurs du cinéma et du monde culturel iraniens, Agnès Devictor, maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et Jean-Michel Frodon, critique et journaliste, professeur associé à Sciences Po Paris.
Agnès Devictor, Jean-Michel Frodon, Abbas Kiarostami. L’œuvre ouverte, Paris, Gallimard, 2020, 304 pages. Le livre sera vendu le 12 mai.