Rétrospective Alberto Lattuada
En collaboration avec le Festival de Locarno, la Cinémathèque suisse propose à la rentrée une rétrospective des films de fiction du cinéaste italien Alberto Lattuada, figure méconnue du néo-réalisme italien, mais également auteur de films de genre et amoureux de récits populaires.
Une capacité à ne pas se répéter
«J'ai généralement tout à gagner et peu à perdre avec les rétrospectives.»Alberto LattuadaDans les années passionnées de sa jeunesse à Milan, Alberto Lattuada avait appris, en regardant les grands films américains, allemands et français, que le cinéma est bien la création d'un auteur, mais toujours dans une relation intense avec l'industrie et le public. S'il ne s'aventura qu'une seule fois dans la production indépendante avec Luci del varietà (1951) – qui fut un échec public –, il ne cessera de travailler, avec force et orgueil, à construire une œuvre personnelle. Lattuada connut aussi les honneurs de la censure et des interventions judiciaires, et nombre de ses projets, une vaste «œuvre parallèle», ne purent ainsi voir le jour.Lattuada entretient une relation profonde avec ses origines lombardes. Publié en 1941, L'occhio quadrato [l'Œil carré], extraordinaire livre de photo- graphies prises lors d'un vagabondage dans les environs de Milan, fait allusion non seulement au format du Rolleiflex 6x6, mais aussi à la mise en forme structurelle et géométrique du regard. Cinquante ans plus tard, il publiera ses textes littéraires sous le titre L'occhio di Dioniso [L'Œil de Dionysos] et fera allusion à la sensualité forte et instinctive: «la passion d'observer le monde, la religion de la beauté, l'utopie d'un éros total, inno- cent et heureux».Cinéaste classique se confrontant sans cesse à la modernité, Lattuada ne s'inscrit ni dans le néoréalisme, ni dans le cinéma de genre, ni dans le panthéon consacré du cinéma d'auteur. Il reste une figure insaisissable, «éclectique», en raison de son extraordinaire capacité à ne pas se répéter, à surprendre ou à décevoir, à rebattre les cartes ou à brouiller les pistes. Il a changé d'acteurs et de scénaristes presque à chacun de ses films. Mais, déclare-t-il, «dans mes films, on découvre toujours quelque chose de récurrent, quelque chose qui m'appartient, quelque chose de recon- naissable, qui peut être la solitude dans laquelle sombrent de nombreux personnages à la fin du film, ou la recherche de la beauté féminine, le mystère de la jeunesse et des lolitas, et ainsi de suite». On pourrait ajouter la critique constante de cette bourgeoisie bien comme il faut, de l'hypocrisie catholique, dans leurs aspects les plus amers ou les plus comiques. Ce n'est toutefois jamais une prise de position idéologique, toujours une «proposition ambiguë».Lattuada fut aussi, à l'évidence, un grand directeur d'actrices (et d'acteurs), à la fois le dernier libertin et un moraliste de tradition lombarde, ou encore un humoriste détaché et un entomologiste passionné. «Rien de ce qui est humain ne m'est étranger», aimait-il répéter. L'étiquette de «calligraphe» lui collera longtemps à la peau, mais la «parfaite ambiguïté de la forme» n'est-elle pas la définition même de l'art, contraire par essence à toute idéologie, instrumentalisation, simplification? Peut-être fut-il vraiment, pour la vivacité physique et matérielle de son cinéma (le contraire de l'artificialité), «le plus américain de nos réalisateurs», comme l'a défini Giuseppe Turroni.
Roberto Turigliatto, curateur de la rétrospective