Intégrale Stanley Kubrick
Prévue en novembre 2020 et immédiatement annulée en raison de la crise sanitaire, l'intégrale des longs métrages de Stanley Kubrick revient en cette fin d'année avec, à la clef, un documentaire sur l'œuvre du cinéaste américain.
Stanley va-t-en-guerre
En collaboration avec l’Institut Lumière«Le plus grand réalisateur controversé du cinéma»: c’est ainsi qu’une chaîne de télévision anglo-saxonne décrit Stanley Kubrick au soir de sa mort. Pour beaucoup, Kubrick représente l’une des formes les plus accomplies du cinéma de par son contrôle total sur l’objet filmique: du générique à la musique, de l’adaptation au scénario, du son, de la lumière à la photographie (il met au point pour Barry Lyndon une caméra dotée d’objectifs ultra-sensibles développés par l’entreprise Zeiss pour la NASA), jusqu’au doublage et aux affiches de ses films à l’étranger. Esthétiquement, il synthétise les bases classiques et européennes de ses aïeux (Bergman, Antonioni, Fellini) avec les inventions avant-gardistes de demain (défis techniques ou l’usage de la musique contemporaine de György Ligeti).Né à Manhattan en 1928, il ne trouve aucun intérêt à l’école, la physique mise à part. C’est alors la photographie qui le séduit et qui va occuper le plus clair de son temps. A 22 ans, il passe à l’image en mouvement après avoir fréquenté durant des années les projections au MoMA et réalise quelques courts métrages sur la boxe ou la marine marchande. Il emprunte 9'000 dollars à sa famille pour tourner en 1953 son premier long métrage, Fear and Desire, qu'il retirera ensuite des circuits de distribution, estimant que celui-ci n’était rien de plus qu’un bon exercice. L’année suivante, il tourne Killer’s Kiss – unique scénario original écrit dans sa carrière – dont la mise en scène sera récompensée au Festival de Locarno en 1959 et qui recevra les louanges de Freddy Buache qualifiant Kubrick de «cinéaste de valeur». A la sortie du film aux Etats-Unis, le jeune producteur James B. Harris rencontre Kubrick et lui ouvre les portes d’Hollywood: The Killing sera son premier film à gros budget, et le premier d’une série de chefs-d’œuvre.La suite, tout le monde la connaît. Kubrick va toucher à tous les genres, gêner le public et la presse, se faire censurer et aduler. La puissance de sa mise en scène donne lieu à des sommets de cinéma. La photographie, toujours minutieuse, ravit à chaque fois notre œil; repensez aux plans de crépuscule de Full Metal Jacket qui font peut-être partie des plus beaux jamais tournés pour un film de guerre. La guerre, justement, est omniprésente chez Kubrick: le Vietnam bien sûr, mais aussi la guerre imaginaire de Fear and Desire, la guerre de Sept Ans, la guerre de l’espace, la Grande Guerre, la troisième guerre servile dans Spartacus, la guerre froide de Dr. Strangelove, puis les guerres métaphysiques, psychologiques, mentales qui questionnent les conflits entre l’humain et la machine à travers les combats de l’âme, de la morale et de l’esprit (Lolita, Shining).En fin de carrière, Stanley Kubrick délaisse la guerre concrète pour des questions plus cérébrales, plus viscérales et moins palpables: dans un New York chimérique, Eyes Wide Shut résume le quotidien d’un couple de bourgeois, où la mort frappe et où le destin attend patiemment les erreurs humaines. Il nous quittait à l’aube du XXIe siècle, anticipant dans son œuvre tous les problèmes d’aujourd’hui (la planète et l’espace, les guerres et la violence). Il est parti sans jamais vraiment donner de réponses; en nous cédant l’image, le mouvement, la musique et son art.
Maxime Morisod