Rétrospective Renato Berta
Passé d'apprenti mécanicien au Tessin lorsqu’il avait 20 ans à l’un des plus grands chefs opérateurs du cinéma d’auteur contemporain, Renato Berta est à l’honneur de mai à juillet à travers 27 films, un documentaire sur sa vie et son œuvre, ainsi que l’avant-première de Qui rido io, nouveau film de Mario Martone, dont il signe la photographie.
Objectif caméra
Cela fait plusieurs années que la Cinémathèque suisse souhaitait rendre hommage au chef opérateur tessinois Renato Berta. Dès 1969, il a signé les images de très nombreux films du Nouveau cinéma suisse, avec Alain Tanner, Michel Soutter, Claude Goretta, Thomas Koerfer ou Francis Reusser. Il a aussi été le compagnon de route de presque tous les films de Daniel Schmid à partir de 1972. Il nous était plus facile de le saisir pour superviser l’étalonnage d’une restauration que nous avions réalisée que de le joindre pour parler de lui et de son travail… Car cet homme généreux et cordial n’aime pas trop regarder en arrière. Au contraire, à 77 ans, avec plus de 120 longs métrages à son actif, il continue de tourner sans relâche. Il s’apprête aujourd’hui à signer les images du nouveau film de Philippe Garrel et à Venise, l’automne dernier, il était à l’affiche de deux films italiens en compétition: Il buco de Michelangelo Frammartino, tourné dans le gouffre du Bifurto, dans le nord de l’Italie, et Qui rido io de Mario Martone, admirable biographie du comique napolitain Eduardo Scarpetta, incarné par le monumental Toni Servillo, et que nous présentons ici en avant-première (voir p. 43).Mais heureusement, par la suite de quelques pauses professionnelles imposées par la pandémie, il a dû (un tout petit peu) ralentir la cadence. Il publie aux éditions Grasset un livre de souvenirs recueillis par Jean-Marie Charuau, Photogrammes, et un documentaire lui est enfin consacré par Paul Lacoste, Renato Berta, face caméra (voir p. 10). L’occasion aussi d’établir avec lui une sélection des films les plus importants de sa carrière et de la présenter ici à la Cinémathèque suisse, en sa présence.Formé entre 1965 et 1967 au Centro Sperimentale della Cinematografia à Rome, prestigieuse école de cinéma qui, après-guerre, a permis l’essor du Nouveau cinéma italien, ce natif de Bellinzone rejoint très vite la Suisse romande pour accompagner les jeunes cinéastes qui signent leurs premières fictions. Il apporte un savoir-faire et une connaissance du métier que presque personne n’a en Suisse, à l’époque, où il n’existe encore aucune école de cinéma. Et il va en quelque sorte devenir la signature visuelle de cette cinématographie naissante qui rapidement s’affirme dans les festivals et dans les salles, en France notamment.Avec souvent peu de moyens et du matériel qu’il emprunte même parfois à son école romaine, il détermine une qualité d’image à la fois forte, précise et discrète, sans effets de manches, où la lumière semble disparaître au profit de l’action et des personnages. La notoriété aidant, Renato Berta est ainsi appelé à la rescousse de cinéastes qu’il admire et qui lui demandent de transposer son regard sur leurs créations. Il enchaîne les collaborations avec Jacques Rivette, Louis Malle, Claude Chabrol, Eric Rohmer, Alain Resnais, Robert Guédiguian, Patrice Chéreau, Manoel de Oliveira, Amos Gitai, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, ou encore Jean-Luc Godard, pour ne citer qu’eux. Mais toujours avec la discrétion, la précision et la qualité qui le caractérisent.En parcourant sa très longue filmographie, on reste impressionnés en constatant combien ses choix de travail se sont avérés pertinents durant toutes ces années, pétris d’une véritable cinéphilie, d’un amour du cinéma dans ce qu’il peut avoir de plus fort et de plus innovant, et de plus exigeant aussi.
Frédéric Maire
Publication d’un livre sur sa vie et ses rencontres
Renato Berta s’est confié à son ami Jean-Marie Charuau dans Photogrammes, un livre publié en 2021 et truffé d’anecdotes, de dialogues, d’aventures et de réflexions sur le cinéma.Parce que écrire n'est pas ce qui m'est le plus naturel, parce que je n'aime pas trop me tourner vers le passé et que j'aime de moins en moins cela avec les années, parce que je ne compte plus les êtres chers qui s'en sont allés et que regarder en arrière c'est raviver cette blessure, parce que j'ai toujours douté de tout, à commencer de l'intérêt des choses que j'ai dans la tête... l'idée de relater par écrit mon histoire ne m'a jamais traversé. Mais lorsque Jean-Marie Charuau est venu me proposer qu'on écrive ensemble un livre sur mon parcours, j'ai eu l'impression que c'était différent. Comme le prolongement d'un dialogue commencé avec lui depuis pas mal de temps. Pas quelque chose de figé, mais un mouvement. Si bien que nous nous sommes tout de suite mis au travail. Pendant des jours et des jours, Jean-Marie est venu chez moi et nous parlions. Et il enregistrait – il est arrivé à près de 200 heures d'enregistrement et 1600 pages de retranscription ... Evidemment, à ce stade, il a fallu faire des choix. Parce que c'était nécessaire. Nous ne pouvions pas tout raconter dans le livre, ni parler de toutes les personnes que j'ai rencontrées grâce à mon métier, que ce soit dans le milieu du cinéma ou bien ailleurs. Alors, nous avons choisi de privilégier les films et les rencontres qui sont allés au-delà du travail: les films et les rencontres qui ont fait bouger mon regard et quelquefois même ma vie, à travers des rapports d'estime, d'émulation, et bien souvent aussi d'amitié. Fort de ces choix, Jean-Marie s'est alors lancé dans l'écriture du livre à proprement parler.S'il a pris le parti de tout écrire à la première personne, c'est parce que c'est comme ça que je me suis confié à lui et c'est ainsi qu'il a pensé pouvoir restituer au mieux ce que nous avions partagé. A l'arrivée, les mots ne sont plus ni tout à fait les miens, ni tout à fait les siens, ce sont les mots de notre rencontre – de la même façon qu'un film est le résultat d'une rencontre entre un scénariste, un réalisateur, un producteur, des acteurs et une équipe technique. Tout est affaire de rencontre, dans le cinéma, dans la vie, et dans ce livre aussi.Je sais à quel point il peut être éprouvant pour un acteur de se confronter à l'image que lui renvoient un réalisateur et son chef-opérateur, et je le comprends encore mieux peut-être aujourd'hui quand je vois combien il m'a été difficile de me confronter au récit de ce que j'ai vécu. Parce qu'une image n'est jamais qu'une image, les mots ne sont jamais que des mots, et les uns et les autres ne sauraient se confondre avec la réalité. C'est le problème auquel on fait face dans tout processus de création: la distance entre ce que l'on souhaite dire ou représenter et ce que l'on dit ou représente vraiment. C'est la distance entre ce que je vois sur un plateau de cinéma et ce que ma caméra enregistre, la distance entre ce que cette caméra enregistre et ce qu’on en voit sur un écran de cinéma, de télévision, d'ordinateur, sur une tablette ou bien un smartphone... Plus on avance dans le processus de création, plus, d'une certaine façon, on s'éloigne de l'image d'origine. C'est la distance entre ce que j'ai vécu et le souvenir que j'en garde, la distance entre mes souvenirs et les mots que j'emploie pour en parler (d'autant que le français n'est pas ma langue maternelle), la distance entre ce que j'en dis à Jean-Marie et ce qu'il en retient, la distance entre ce qu'on choisit de mettre en avant et le récit qu'il en fait par écrit… Tout autant de distances qui m'amènent parfois à me demander si la vie qui est ici racontée est vraiment la mienne, ou bien juste une interprétation de mes souvenirs.
Renato Berta et Jean-Marie Charuau, Photogrammes, Ed. Grasset, Paris, 2021, 333 pages. Prix: CHF 29.
Renato Berta