Hommage à Sidney Poitier
Premier Afro-Américain à avoir décroché l'Oscar du meilleur acteur à Hollywood en 1964, Sidney Poitier a disparu en janvier dernier, à 94 ans. La Cinémathèque suisse lui rend hommage avec six films couvrant les années 1955 à 1992.
To Sir Sidney Poitier, With Love
Le chagrin universel suscité par la disparition de Sidney Poitier n'a eu d'égal que le sentiment de gratitude ressenti par de nombreux spectateurs en songeant aux réalisations d'une carrière exemplaire consacrée à l'excellence artistique et à l'engagement civique. Ces dernières années, nous avons été, une fois encore, les témoins d'une violence discriminante à l'encontre des Afro-Américains et sommes ainsi parfois tentés de penser que nous reculons effroyablement par rapport à l'époque de Paul Robeson, Ossie Davis, Harry Belafonte, Ruby Dee et Max Julien, et après les victoires durement acquises par le Civil Rights Movement (Mouvement américain des droits civiques).Sidney Poitier n'était pas seulement le premier acteur afro-américain à remporter un Oscar (pour le film Lilies of the Field de Ralph Nelson, sorti en 1963 et récompensé par l'Ours d'argent au Festival de Berlin). Il a égale- ment incarné l'excellence éthique, morale et artistique dans des moments difficiles, ouvrant des portes que d'autres auraient préféré garder fermées. Sa présence dans le cinéma américain a constitué un changement radical dont l'impact demeure dans l'œuvre de Denzel Washington, Eddie Murphy, Angela Bassett, Will Smith, Jennifer Hudson, Morgan Freeman, Whoopi Goldberg et bien d'autres. Sidney Poitier s’est hissé au-devant de la scène et a déclaré que les Afro-Américains n'étaient pas seulement d'excellents acteurs de genre ou les acolytes du premier rôle blanc, mais pouvaient aussi porter un film à eux seuls, et de manière excellente.Par le choix de ses rôles, Poitier a représenté un modèle pour les artistes afro-américains, donnant à ceux qui n'avaient pas encore de voix le courage de se lever et de revendiquer leurs droits. On ne peut pas ne pas penser (...) au superbe suspense de The Defiant Ones de Stanley Kramer (1958), où il est enchaîné à Tony Curtis et dénonce une société ségrégationniste. Il se souvient de ce film avec un sourire, racontant comment les spectateurs afro-américains ont eu du mal à taire leur incrédulité: «Ils m'ont dit qu'aucun frère ne se sacrifierait jamais pour un blanc» (...).Jusqu’à la fin, Poitier a continué à travailler avec constance, que ce soit dans l'excellent Shoot to Kill de Roger Spottiswoode (1988), qui a marqué son retour devant la caméra après une décennie de réalisations, ou dans Sneakers de Phil Alden Robinson (1992), où il a partagé l'écran avec des acteurs tels que Robert Redford, Dan Aykroyd, James Earl Jones, Ben Kingsley ou River Phoenix. Il était un authentique géant du cinéma, au-delà de Hollywood, un héros qui n'a jamais voulu être considéré comme tel et qui a contribué de manière indélébile à l'avancement des droits des citoyens afro-américains. Sidney Poitier fait partie du patrimoine de l'humanité. (...)
N.B. L’impératif de réaliser une large rétrospective dédiée à Sidney Poitier, acteur et cinéaste, a vite été contrarié par le manque de copies de ses films et par les difficultés d’accès à des œuvres fondamentales du patrimoine cinématographique détenues par les studios américains. Certains titres «incontournables» figurent dans cet hommage, d'autres pas. Nous le regrettons beaucoup (Chicca Bergonzi).
Giona A. Nazzaro, directeur artistique du Locarno Film Festival, texte publié le 10 janvier 2022 sur www.locarnofestival.ch