Visions du Réel: Lucrecia Martel

Visions du Réel: Lucrecia Martel

La Cinémathèque suisse propose quatre œuvres marquantes de Lucrecia Martel, figure du Nouveau cinéma argentin. Une programmation en collaboration avec le festival Visions du Réel à Nyon, qui lui décerne cette année son Prix d'honneur.

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La Mécanique des fluides

Figure incontournable du Nouveau cinéma argentin, Lucrecia Martel naît à Salta, au nord-ouest de l’Argentine. Après des études à la Avellaneda Experimental et à l’Ecole nationale d’expérimentation et de réalisation cinématographique de Buenos Aires, elle réalise une série de courts métrages documentaires et de fiction entre 1988 et 1994. En 2001, La ciénaga, son premier long métrage, est aussi le premier opus de ce qui est décrit comme «la Trilogie de Salta», tournée dans sa région natale, qui souvent s’imprègne des souvenirs de la cinéaste. A travers une approche sensorielle et un travail sonore permettant de traduire et construire l’espace et les corps de façon extrêmement singulière et inventive, elle livre le récit estival d’une famille qui s’enlise dans les problèmes, dans un marécage («ciénaga») physique, culturel et spirituel. Un portrait qui évoque, en creux, la crise dans laquelle l’Argentine sombre au moment où le film sort. Lancé au Festival américain de Sundance, le film reçoit un Ours d’argent au Festival de Berlin et amorce une œuvre qui sonde un territoire (au sens large), une certaine inertie provinciale, avec une fascination quasi documentaire pour le motif familial.

Suit La niña santa (2004) qui traduit l’indécision entre désir et foi d’une adolescente et se retrouve sélectionné en compétition au Festival de Cannes, de même que, quatre ans plus tard, le troublant La mujer sin cabeza (2008). Empruntant aux codes du thriller psychologique, ce dernier travail de la cinéaste recrée la descente paranoïaque d’une femme croyant avoir provoqué la mort de quelqu’un lors d’un accident de voiture. Un film qui traduit avec sensualité l’errance émotionnelle de la protagoniste, tandis qu’en toile de fond transpire un déni, tant personnel que national, de la bourgeoisie argentine quant aux descendants d’indigènes.

Son quatrième long métrage, Zama (2017), une fois encore salué par la critique et présenté à la Mostra de Venise, propose une exploration du colonialisme et du racisme en Amérique latine à travers l’expérience d’un dépaysement total, provoqué notamment par le remarquable travail effectué sur le son. Une nouvelle fois, la réalisatrice évoque avec bien davantage de force qu’elle ne raconte de façon linéaire, sans aspirer à reconstruire un passé qui forcément se dérobe, créé et inventé de toutes pièces, pour suggérer un futur et tendre vers la science-fiction.

En 2021, Lucrecia Martel fait une nouvelle incursion puissante dans le cinéma du réel avec Terminal Norte, tourné durant la pandémie. Le film suit un groupe de femmes musiciennes trouvant refuge lors du confinement dans les paysages vibrants du Salta. La cinéaste livre un projet intimiste et engagé, en immersion, qui illustre avec force la symbiose entre ces artistes, leurs chants et récits, et la nature luxuriante qui les entoure. Il préfigure son prochain long métrage, également documentaire, prévu pour 2023.

Emilie Bujès, directrice artistique de Visions du Réel

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