Le cinéma de la justice
En mars et avril, la Cinémathèque suisse propose, en collaboration avec l'Université de Lausanne, une sélection de fictions de 1939 à aujourd’hui qui offre une représentation des institutions judiciaires, ainsi que de ses principaux acteurs et actrices.
Faire droit à l'imaginaire
Droit, justice et cinéma entretiennent depuis longtemps un rapport étroit. D’un côté, le droit a besoin d’exister dans l’inconscient des justiciables. De l’autre, le cinéma a besoin de motifs à (dé)construire dans l’œil du public. De cette rencontre naît l’un des premiers films politiques. Alors qu’un pourvoi en révision est pendant, George Méliès réalise L’Affaire Dreyfus (1899) et interprète lui-même le rôle d’un des avocats. Le film a très probablement été gêné à sa sortie en France, protection de l’ordre public oblige.
Le dialogue est vaste: le droit dans le cinéma (son traitement dans les films), le droit comme cinéma (la justice comme un lieu de représentations), le droit par le cinéma (le monde du droit mobilisant le cinéma comme outil), le droit du cinéma (le cadre juridique entourant la production et la diffusion cinématographiques). Avec ce cycle de films, nous souhaitons rendre grâce à certains pans de ce dialogue. D’un point de vue juridique, le septième art use et parfois abuse du droit: on croirait qu’il n’y a de procès que pénal, que la reine des preuves demeure l’aveu, que le jury populaire est une institution commune, que la plaidoirie forme le pinacle de toute affaire. Mais si le miroir est déformant, c’est pour nous offrir une image humaine et donc nécessairement imparfaite de la justice. Face à son propre cinéma, le droit et, avec lui, celles et ceux qui l’étudient et le pratiquent peuvent ainsi s’aviser, qui sait, du risque que représente une justice seulement pantomime.
Brian Favre, assistant diplômé à la Faculté de droit de l’UNIL
La justice devant la caméra
C’est dans le cadre du cours de master de la Section d'histoire et esthétique du cinéma de l'Université de Lausanne (UNIL), intitulé «La circulation des films: marché, distribution, festivals», que ce cycle a été conçu. Grâce à Brian Favre et Laurent Le Forestier, enseignants-chercheurs à l’UNIL, Isabelle Ihmle, et sous la supervision de Frédéric Maire, Chicca Bergonzi et Pierre-Emmanuel Jaques, maître d’enseignement et de recherche à l'UNIL, les étudiantes et étudiants ont été invités lors du semestre d’automne 2022 à mettre en pratique le travail de programmation. Ils ont notamment eu la tâche de rédiger une introduction générale (à l'instar de celle figurant ci-dessous) et d’écrire les textes consacrés aux films (dont une sélection se trouve aux pages suivantes).
Avec ce cycle de films, nous souhaitons présenter une sélection d’œuvres mettant en scène la représentation de la justice, en insistant sur le moment particulier que représente la délibération au tribunal. En général, elle donne lieu à des joutes verbales qui prennent un relief tout particulier, offrant à un comédien l’acmé de sa performance. Toutefois, on constate qu’elle peut revêtir différentes formes et intervenir à des moments plus ou moins éloignés des pratiques judiciaires dans son pendant fictionnel. Dans le monde anglo-saxon notamment, où la plaidoirie finale n’a pas autant d’importance qu’en France, c’est souvent la phase d’interrogatoire et de contre-interrogatoire des témoins qui est privilégiée par les scénaristes et qui leur donne l’occasion de composer de brillants monologues. C’est ainsi que de Young Mr. Lincoln de John Ford (1939) à Anatomy of a Murder d’Otto Preminger (1959), les avocates et avocats américains n’hésitent pas à se lancer dans ce qui ressemble à une plaidoirie lors de l’audition d’un témoin. Leurs homologues français, à qui les cinéastes aiment attribuer des pouvoirs qu’ils n’ont pas, en viennent eux aussi à plaider quand bon leur semble, à l’image de Raimu dans Les Inconnus dans la maison de Henri Decoin (1942).
Un autre cas de figure intéressant est le lien entre le prétoire et le monde ordinaire. Ainsi, dans Adam’s Rib de George Cukor (1949), le conflit juridique devient scène de ménage pour le couple d’avocats. Dans The Verdict de Sidney Lumet (1982), l’affrontement se prolonge dans les bureaux des juges ou les salons des hommes de pouvoir. Dans ce cycle, les plaidoiries sont partout, jusque dans la salle de délibération des jurés de 12 Angry Men de Sidney Lumet (1957), pourtant dépourvue du moindre avocat. En adaptant une modalité propre au monde judiciaire, ces films prennent souvent un tour politique, tout en étant portés par des formes proprement filmiques, notamment au niveau du découpage et du montage. Par ailleurs, ces joutes verbales se mélangent aisément à l’ensemble des genres cinématographiques. Du drame à la comédie, en passant par le biopic ou le thriller paranoïaque, elles savent se réinventer en permanence et interroger aussi bien le monde du droit que les fondements sociaux à leur base, jouant avec des stéréotypes que souvent elles questionnent, notamment ceux associés aux individus présumés coupables.
Yann Schlaefli, étudiant à la Section d’histoire et esthétique du cinéma de l’UNIL
Les autres films de la rétrospective
Des Etats-Unis à la France, en passant par l’Italie ou le Japon, plusieurs œuvres-clé de l’histoire du cinéma mettent en scène les actrices et acteurs du système judiciaire: accusées et accusés – coupables ou non –, avocates et avocats, juges ou encore jurés sont ainsi à l’honneur dans les récits d’enquêtes et de procès constituant cette rétrospective. Qu’ils se donnent pour mission de critiquer ou, au contraire, de mettre en valeur la loi et ses représentantes et représentants, chacun de ces films éclaire d’une manière singulière les rouages souvent inattendus de la justice.
Le cinéma de la justice
Retour en images
La Cinémathèque suisse à l’UNIL
13 mars 2023