Jean-Louis Trintignant, un an déjà
Figure majeure du théâtre et du cinéma français, à la présence hypnotique et à la voix inimitable, Jean-Louis Trintignant s’est éteint en juin 2022. La Cinémathèque suisse lui rend hommage à travers une rétrospective de 30 longs métrages, dont un documentaire sur sa carrière signé par Serge Korber.
Mort d’un sage
Le beau jeune premier d’Et Dieu créa... la femme est devenu un très vieil homme, inconsolable et plein de grandeur. Fuyant la gloire, brisé par la mort de sa fille, le comédien s’est consacré jusqu’à son dernier souffle à la poésie. Il s'est éteint à l’âge de 91 ans.
Né en 1930, fils de notable, Jean-Louis Trintignant a l’ambition de devenir pilote automobile, comme son oncle, et commence des études de droit. Molière l’en détourne. Il suit des cours de comédie qui l’aident à vaincre une timidité maladive. En 1956, il accède à la célébrité mondiale avec Et Dieu... créa la femme, de Roger Vadim, qui révèle Brigtte Bardot et ébranle le vieil ordre moral. (...)
Après un Hamlet au théâtre, il revient sous les projecteurs avec un autre film scandaleux de Vadim, Les Liaisons dangereuses, enchaîne avec Le Fanfaron de Dino Risi (1962) et connaît la consécration en 1966 avec Un homme et une femme de Claude Lelouch, Palme d’or à Cannes.
La filmographie de Trintignant est abondante à défaut d’être toujours dense. Il a eu sa part de navets (Sans Mobile apparent, Merveilleuse Angélique...). Il a aussi travaillé avec des réalisateurs talentueux comme Alain Cavalier (Le Combat dans l’île), Claude Chabrol (Les Biches), Ettore Scola (La Terrasse, La Nuit de Varennes), Michel Deville (Le Mouton enragé), André Téchiné (Rendez-vous), Enki Bilal (Bunker Palace Hôtel, Tykho Moon) et Patrice Chéreau (Ceux qui m’aiment prendront le train). (...)
En Suisse, il a travaillé avec Michel Soutter (L’Escapade, Repérages) et Alain Tanner (La Vallée fantôme). Il a réalisé deux films, Une journée bien remplie et Le Maître-nageur, qui n’ont pas eu de succès. Il se disait particulièrement fier du Conformiste (Bernardo Bertolucci), de Ma nuit chez Maud (Eric Rohmer), de Trois Couleurs: Rouge (Krzysztof Kieslowski), de Regarde les hommes tomber (Jacques Audiard), de Z (Costa-Gavras) et de Vivement dimanche, le dernier film de François Truffaut.
Et puis il y avait Amour, de Michael Haneke, qu’il tenait pour le plus grand metteur en scène vivant. Dans le rôle d’un octogénaire accompagnant sa femme au soir de sa vie, il investissait de façon bouleversante tout son art de comédien, mais aussi toute sa douleur d’homme. (...)
A partir des années 1980, Jean-Louis Trintignant se fait plus rare. Il se sent à part. Son nom ne figure pas dans l’annuaire du spectacle. Il vit à Uzès, «très simplement», dans une maison «facile à entretenir». Il fait du vin. «Je n’ai pas besoin d’être plus connu ou plus riche. C’est confortable de ne pas être dépendant de la notoriété. Je vis très bien sans tourner.» (...)
Même nonchalance du côté du cinéma: «Je n’ai jamais été le Numéro un, et n’ai pas cherché à l’être. Il y avait deux Numéro un en France, Belmondo et Delon. Ils étaient malheureux tous les deux. Quand l’un était Numéro un, il était angoissé que l’autre lui prenne sa place; quand il était Numéro deux, il était malheureux de ne pas être Numéro un. Moi, j’étais Numéro dix et je me marrais bien», souriait-il doucement.
Antoine Duplan, extrait d’un article publié le 17 juin 2022 dans Le Temps
Un documentaire de Serge Korber
Au printemps 1964, le réalisateur Serge Korber tient une idée pour son prochain court métrage. Par le hasard de rencontres fortuites, il trouve le financement nécessaire à sa réalisation, ainsi que la confiance de Jean-Louis Trintignant qui accepte, sans même lire le scénario, d’y participer. Le film s’intitule Un jour à Paris et raconte l’histoire d’un parapluie porte- bonheur. C’est le début d’une longue et solide amitié qui va, des années plus tard, inspirer le documentaire Jean-Louis Trintignant, pourquoi je vis (2012), suivi en 2020 de l’ouvrage Jean-Louis Trintignant: Dialogue entre amis.