Le cinéma mexicain de 1940 à 1969
En partenariat avec le Locarno Film Festival, la Filmoteca de la UNAM, la Cineteca Nacional de México, sous la direction d’Olaf Möller et avec la collaboration du critique de films Roberto Turigliatto, la Cinémathèque suisse programme à la rentrée une rétrospective consacrée à trois décennies de cinéma mexicain (1940–1969).
Un spectacle quotidien
Le cinéma mexicain classique est une étrange non-entité dans le contexte international: nous avons généralement conscience de son étendue, mais nous ne savons pas grand-chose à son sujet. Trop souvent, il se réduit à quelques expressions et genres considérés comme exemplaires, quelques expressions à retenir: l'âge d'or, le nativisme révolutionnaire et le réalisme noir. Emilio Fernández et même Roberto Gavaldón, sans parler d'Alejandro Galido, Julio Bracho ou Juan Bustillo Oro demeurent assez largement méconnus, même si, pour chacun d'eux, il existe sans doute une paire de films projetés occasionnellement que l’on qualifie de chefs-d'œuvre. Mais les chefs-d'œuvre ne suffisent pas à faire une culture cinématographique. En réalité, ils sont l’arbre qui cache la forêt, cette dernière étant la façon dont les cinéastes accomplissent un travail artisanal avec grâce et sens artistique, tout comme le savoir accumulé par l'industrie et l'excellence des personnes travaillant dans ses différents départements qui peuvent porter un honnête artisan à un niveau d’excellence inespéré.
En d'autres termes, les chefs-d'œuvre représentent le culte d'une personnalité exceptionnelle, généralement en délicatesse avec le système. Ce qui nous intéresse ici, c'est l'intelligence, la sensibilité et les étincelles créatives d’un groupe de personnes travaillant ensemble pour le plaisir et l'esprit du plus grand nombre. C'est grâce à elles que des joyaux décalés comme La corte de faraón de Julio Bracho (1944), El caso de la mujer asesinadita de Tito Davison (1955) ou La mente y el crimen d'Alejandro Galindo (1961) ont pu voir le jour. L'industrie est ainsi l’espace où non seulement des certitudes se sont vues confirmées (pour un temps...), où des personnages comme l'agent spécial 777 de Cantinflas ont été explorés avec profit (notamment dans El gendarme desconocido de Miguel Melitón Delgado, 1941), mais également où de nouvelles idées et des approches esthétiques inhabituelles ont pu se développer.
Notre intérêt pour le Mexique en tant que culture cinématographique cosmopolite est lié à tout cela. Des cinéastes de tous horizons et de toutes origines sont venus au Mexique, parfois fugacement, comme Antonio Momplet, exilé de la guerre civile espagnole (Amok, 1944), Tulio Demicheli, auteur errant argentin (Más fuerte que el amor, 1955) ou Edward Dein, mystérieux voyageur et cinéaste américain (El corazón y la espada, 1953), tandis que des artistes tels qu’Alfredo Bolongaro-Crevenna, qui avait fui la terreur nazie (Muchachas de uniforme, 1951), René Cardona, né à Cuba et formé à Hollywood (La mujer murciélago, 1968), ou Carlos Velo, un autre exilé de la guerre civile espagnole (Torero, 1956), ont fait du Mexique leur seconde patrie.
Vu d'aujourd'hui, le cinéma mexicain classique, peut-être plus encore que les cinémas nationaux comparables de la même époque, ressemble à un paradis perdu: un espace ouvert à des myriades de personnes différentes, où un art du plus haut raffinement a pu voir le jour dans un dialogue à la fois intime et ludique.
De nombreuses institutions en Suisse reprendront (en totalité ou en partie) la programmation de cette rétrospective. Parmi elles, trois salles associées de la Cinémathèque suisse: le Filmpodium à Zurich, Les Cinémas du Grütli à Genève et le Rex à Berne.
Olaf Möller, commissaire de la rétrospective au Locarno Film Festival