Rétrospective Jia Zhang-ke

Rétrospective Jia Zhang-ke

En avril, la Cinémathèque suisse propose une sélection d'œuvres marquantes de Jia Zhang-ke, figure du cinéma chinois contemporain, dont une projection en sa présence le 17 avril. Une programmation en collaboration avec le festival Visions du Réel à Nyon, qui lui décerne cette année son Prix d’honneur.

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Go East

Si le spectre des genres cinématographiques embrassé par l’œuvre de Jia Zhang-ke semble infini, le fil invisible qui les rattache se nourrit d’éléments essentiels. Du polar au documentaire, en passant par une myriade de formes hybrides tissées d'actrices et acteurs non professionnels, de fiction sur toile réelle, de fantastique court-circuitant l’extrême sobriété de récits inscrits dans des décors naturels, le cinéaste établit des affinités entre les films et compose une filmographie cohérente et mouvante, empreinte de réalisme sublimé: «Pour moi, il est plus facile de filmer la vérité des relations humaines dans le cadre d’une fiction. (...) dans le documentaire, j’aime porter mon attention sur la condition des gens, leur démarche, les sons qui retentissent au milieu du paysage désolé. Découvrir et représenter cette part abstraite de l’existence, voilà l’intérêt du documentaire» (Jia Zhang-ke, Dits et écrits d’un cinéaste chinois, 1996–2011, Editions Capricci, 2012).

En 1993, alors qu’il étudie à l’Académie du cinéma de Pékin, Jia Zhang-ke appréhende les contraintes de la censure et forme un «groupe du film expérimental», considéré comme la première structure de production indépendante en Chine, grâce à laquelle il tournera son premier film, un moyen métrage. Dès le second, qui est aussi son premier long métrage, Xiao Wu (1998), il amorce une série de films dont l'action se déroule à Fenyang, sa ville natale dans le Shanxi. Tourné principalement en plans moyens et presque sans intrigue, Xiao Wu présente une certaine qualité documentaire, qui se manifeste aussi dans Platform (2000), brossant le portrait empli d’attente et d’inactivité d’une troupe de théâtre provinciale de 1979 à 1990, entre propagande maoïste et musique pop influencée par l'Occident. Ces récits au long cours, tels des épopées, sont un autre trait saillant de l’œuvre du cinéaste chinois – Au-delà des montagnes (2015), Les Eternels (2018) – qui rendent compte de la mutation de la société chinoise à travers une riche galerie de protagonistes dont les trajectoires personnelles foisonnantes viennent rompre la dissolution de l’individu dans le récit national.

Jia Zhang-ke avait, en 2000, rencontré Zhao Tao, professeure de danse dans un collège, tandis qu’il préparait Platform. Elle jouera dès lors dans ses films – notamment le documentaire hybride 24 City (2008) ou Touch of Sin (2013), se réincarnant sans cesse dans des histoires distinctes et des circonstances disparates, en conservant son propre nom. Elle confère la sensation étrange d’un lien invisible entre les mondes, d’une femme ayant vécu toutes ces vies successivement, et renforce encore l'intertextualité et la circulation dans la filmographie du cinéaste. Ainsi, lorsqu’il tourne Dong (2006) dans la ville de Fengjie pour rendre compte du processus de construction du Barrage des Trois-Gorges et des innombrables person- nes déplacées, il y adjoint une fiction pour transfigurer son propos et composer un diptyque. C’est Zhao Tao qui incarne une nouvelle fois l’un des rôles-titres de Still Life (2006); peut-être l’un des plus grands films – hybride – du cinéaste, qui sera récompensé du Lion d’or à la Mostra de Venise la même année.

Emilie Bujès, directrice artistique de Visions du Réel

Les fictions

En plus de vingt ans de carrière, Jia Zhang-ke a marqué son œuvre d’un mélange entre réalité et fiction. Il a usé de cette approche pour évoquer les conséquences économiques, sociales et culturelles de la mutation de la société chinoise liées à «la réforme et l'ouverture» de l’économie engagée sous la présidence de Deng Xiaoping. Les dégâts de la mondialisation et les désillusions face au nouveau capitalisme chinois sont abordés frontalement tout au long de cette sélection de films. Un aspect qui aura d’ailleurs souvent valu au cinéaste la censure dans son pays.

Un documentaire

En 2014, en collaboration avec le critique de cinéma Jean-Michel Frodon, auteur de la monographie Le Monde de Jia Zhang-ke, le cinéaste brésilien Walter Salles consacre un portrait intime au cinéaste chinois dont il admire l’œuvre dans sa globalité. «Si un film commence quand la lumière de la salle se rallume, comme le défend Amos Gitai, alors les films de Jia ne se terminent jamais pour moi. Comment parler d’un cinéaste qui m’est essentiel? Peut-être en racontant l’expérience que j’ai vécue en voyant ses films qui me reviennent sans cesse en mémoire».

Evénement(s)

A Touch of Sin en présence du cinéaste

Mercredi 17 avril à 20:30

Le dixième long métrage de Jia Zhang-ke, présenté en sélection officielle au Festival de Cannes de 2013, fut une consécration pour le cinéaste puisqu’il y obtint le Prix du scénario. A Touch of Sin présente quatre histoires distinctes inspirées de faits réels et se déroulant dans diverses régions chinoises du nord au sud du pays (les provinces du Shanxi, du Hubei, de Chongqing et du Guangdong).

Ce bijou du cinéma asiatique offre ainsi un panorama d’une Chine qui est en profonde mutation. La libéralisation de l’économie chinoise à partir des années 1980 a engendré une prospérité nouvelle. Avec cet essor économique sont également apparues une corruption et des inégalités sociales croissantes dont est victime tout un pan de la population. Les humiliations et les agressions que subissent les quatre personnages principaux les amènent en retour à l’expression d’une violence crue et implacable.

A l’occasion de cette balade sanglante dans l’Empire du Milieu, le cinéaste signe en outre sa huitième collaboration avec son actrice fétiche Zhao Tao (avec qui il partage d’ailleurs sa vie). Cette véritable critique sociale, dont la projection en salles fut interdite en Chine, est à (re)voir lors de la soirée spéciale dédiée à Jia Zhang-ke le mercredi 17 avril à 20h30 au Capitole et en sa présence.

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