Le cinéma de Jeanne Moreau
Célèbre comédienne, sur la scène comme à l’écran, Jeanne Moreau s’est également distinguée derrière la caméra. En sus de quelques-unes des œuvres incontournables de sa carrière, la Cinémathèque suisse propose de (re)découvrir ces films rares, en version restaurée, qu’elle a écrits et réalisés entre 1975 et 1983.
Comment Jeanne Moreau en est venue à réaliser des films
Quand Jeanne Moreau manifeste le désir d’être comédienne, c’est au théâtre qu’elle pense, exclusivement. Mais, très vite, elle est aussi demandée par le cinéma, qui lui est alors complètement inconnu. A partir de Touchez pas au grisbi de Jacques Becker (1954), plusieurs des films qu’on lui propose relèvent du genre policier. Intrigues, décors et partenaires se succèdent avec plus ou moins de bonheur, mais un événement va changer radicalement l’orientation de son parcours d’actrice: sa rencontre avec Louis Malle.
Ce dernier l’a vue jouer La Chatte sur un toit brûlant, une pièce de Tennessee Williams où elle dégage une forte sensualité. Le cinéaste a 25 ans et prépare sa première fiction. Jeanne lui donne immédiatement son accord. Bien qu’elle ait déjà 20 films à son actif lorsqu’elle tourne Ascenseur pour l’échafaud (1958), celui-ci n’est pas un film noir de plus dans sa carrière: la comédienne est débarrassée des couches de maquillage et transformée en profondeur. Sont révélés le timbre si particulier de sa voix à la fois tendre et métallique, indéfinissable, l’élégance de sa gestuelle et de sa démarche... Elle a enfin découvert cette liberté à laquelle elle aspirait tant.
Les Amants de Louis Malle (1958), Moderato Cantabile de Peter Brook (1960) et La Notte de Michelangelo Antonioni (1961) annoncent la modernité qui va auréoler de toutes les qualités le cinéma européen au début des années 1960. Et travailler avec François Truffaut (Jules et Jim, 1962), Joseph Losey (Eva, 1962), Jacques Demy (La Baie des anges, 1963), Luis Buñuel (Le Journal d’une femme de chambre, 1964) signifie pour Jeanne Moreau s’investir toujours plus et s’appliquer à suivre avec précision les indications du metteur en scène. Idem sur ses tournages avec Orson Welles ou Tony Richardson. Elle est devenue en quelques années une parfaite inspiratrice.
L’année 1968 ouvre une autre saison. En abordant la quarantaine, âge souvent délicat pour les comédiennes, les grands rôles sur mesure se font plus rares. Elle traverse une période d’introspection et de gestation,
mais garde le goût de l’anticonformisme, de la solitude et de la curiosité. «A partir du moment où on a par chance le désir de créer, dira-t-elle, toutes les tentations sont permises et il est bon de se laisser aller à une multiplicité dans l’expression». Son retour à la chanson la décide, en 1970, d’écrire elle- même les textes de son album Jeanne chante Jeanne. Ses apparitions à l’écran sont plus brèves, souvent devant la caméra de jeunes cinéastes qui, sans elle, auraient eu du mal à concrétiser leur projet. En 1975, Souvenirs d’en France d’André Téchiné est au Festival de Cannes, mais pas en sélection officielle, car le rôle principal est tenu par Jeanne Moreau... qui préside le jury en cette «année internationale de la femme». En dehors d’Agnès Varda qui construit une œuvre personnelle, les femmes cinéastes sont encore peu nombreuses. Mais il se produit à Cannes quelque chose de nouveau: Delphine Seyrig, comédienne engagée à faire valoir leur place (dans la vie comme au cinéma) est à l’affiche de quatre films dont trois réalisés par des femmes. L’été qui suit, Jeanne Moreau fait ses débuts de cinéaste avec Lumière (1976).
Jean-Claude Moireau, biographe de Jeanne Moreau et photographe de plateau
Films en tant que réalisatrice
Les rôles marquants de Jeanne Moreau et ses collaborations avec les plus grands cinéastes ont probablement contribué à occulter ses films en tant que réalisatrice, au même titre que l'état de leurs copies qui les ont rendus invisibles aux yeux du public jusqu'à récemment. Grâce à une restauration initiée par la Fondation Jeanne Moreau, ces portraits de femmes témoignent du savoir-faire d'une artiste qui, au-delà d'un sens inné pour l'interprétation et la direction d'actrices et d'acteurs, s'est révélée une metteuse en scène pleine d'inspiration.
Sélection de films en tant qu'actrice
Avec plus de 100 films et 20 pièces à son actif, Jeanne Moreau fait incontestablement partie des légendes du cinéma français. Doté d'une infinie palette de nuances expressives, son visage est indissociable de l'œuvre de cinéastes tels que Luis Buñuel, François Truffaut ou encore Louis Malle qui lui a offert certains de ses plus beaux rôles. Parmi ces derniers, celui de Florence Carala, allégorie de la liberté féminine, que le cinéaste met en scène dans Ascenseur pour l'échafaud (1958), premier film d'une précieuse collaboration artistique qui s'étendra sur trente ans.
Evénement(s)
Soirée spéciale avec Lumière de Jeanne Moreau
Jeudi 30 mai à 20:30
Le premier film de Jeanne Moreau, Lumière (1976), se distingue d’autres œuvres cinématographiques dont le sujet est aussi le cinéma parce que le regard de celle qui le réalise est celui d’une actrice qui capte, de l’intérieur, des observations inhabituelles. Le fascinant microcosme des actrices et acteurs reste souvent incompréhensible aux yeux des profanes et le risque est grand pour eux de ne percevoir que la surface des êtres... et celle du film, alors qu’une dimension plus profonde le traverse. Jeanne Moreau essaie ici de traduire la difficulté de la relation avec autrui, accrue sans doute dans un métier qui exacerbe les passions et accélère le temps. A considérer les multiples occasions où il joue la comédie, on pense parfois que l’acteur ment. Elle nous dit que non, que c’est une idée reçue. La vie est sa meilleure école, il y puise sa force, son authenticité et son travail est de tous les instants. Elle a d’ailleurs souvent clamé: «L’acteur recrée en revivant des émotions. Pour cela il ne peut qu’être vrai!»
Jean-Claude Moireau, biographe de Jeanne Moreau et photographe de plateau